Ni les instances ni l’ordre établi ne nous accordent le privilège du repos. Dans notre passé colonial, nous étions de la marchandise et réduits en esclavage, notre travail était exploité et notre bien-être était rarement la priorité. Maintenant, après une pandémie mondiale qui a radicalement changé notre existence, nous sommes toujours en mode survie face au capitalisme et au racisme ; surmonter l’épuisement (socioéconomique) est devenu la norme. Nous devons démanteler et décoloniser les idéologies assimilées pour que les gens noirs n’aient plus à se débattre pour survivre au lieu de s’épanouir. Le repos n’est pas un fait accompli, c’est un cadeau que nous pouvons nous offrir.
La réappropriation du repos transcende le capitalisme et le colonialisme et représente un pas crucial et transformateur vers la libération de la communauté noire. Nous écoutons de la musique qui encourage la culture de l’agitation et du surmenage pour se prouver. Les familles dans lesquelles nous grandissons attachent trop d’importance à notre productivité comme mesure de notre valeur. Notre époque nous maintient dans un état constant d’hypervigilance face à la précarité de notre existence. En réaction, la contre-culture du repos nous incite à choisir un « soft life », à prendre soin de soi et à vivre dans le luxe, ce qui demeure, pour bon nombre d’entre nous, impossible. La question du repos, alors que la pression de « l’excellence noire », de la réussite et de la survie nous consume de l’intérieur, n’a rien de simple. De remettre en question sa relation avec la détente, la perte de productivité et les temps de pause exige une vulnérabilité que l’on peut rarement se permettre. Que ce soit ce parent multitâche, cette étudiante étrangère en quête d’une vie stable, cette grande sœur aux multiples rôles au sein de sa famille immigrante ou encore ce travailleur qui tente de payer son loyer sans négliger ses passions, le statut socioéconomique joue grandement sur la relation avec le repos. Il faut se poser la question : la fatigue s’est-elle installée?¹ Quand avons-nous découvert ce qu’était le repos? Qui nous l’a appris? Qui y a droit? Quels sentiments évoque-t-il? Quels sont les différents types de repos, et qu’est-ce qui nous empêche d’y parvenir?
Pour y répondre, l’exposition propose une exploration de la maternité, de la nature, de la musique et de vérités crues, émotionnelles et physiques. Elle présente les diverses façons par lesquelles les artistes des communautés noires de la région d’Ottawa-Gatineau, aux origines caribéenne et africaine, voient le repos et transforment la scène artistique. Leurs voix deviennent un dialogue sur les sept types de repos (sensoriel, émotionnel, social, spirituel, physique, créatif et mental) au moyen de techniques variées, notamment la peinture, la sculpture et la poésie. La sculpture de William Martinak Par met en lumière l’aspect à la fois créatif et spirituel du repos en représentant un jeune garçon se prélassant dans la verdure, la sérénité et la culture. L’œuvre illustre bien la citation d’Aristote, « l’art achève ce que la nature n’a pu mener à bien ».² My soul shares 2 bodies, de Yasmine Hadid, est une photographie d’un tête-à-tête intime et précieux pour recharger ses batteries sociales. À l’opposé, son autre photographie, Lacienega, critique le capitalisme et le manque de repos sensoriel, un état que chacun, ou presque, a déjà connu. On Off, de Andy Akangah, montre un combattant qui prend le temps d’enlever son équipement, faisant fi des attentes de résilience à son égard et dévoilant sa vulnérabilité physique et mentale. L’œuvre distinctive d’Olufunto Kusimo, Green is Envy Rage and Ivy, révèle les émotions cachées et pousse un cri du cœur pour le rejet de ces systèmes qui nous épuisent et nous endorment. Enfin, It Takes a Village to Raise a Child. It Takes a Village to Find the Mother Rest, œuvre de Maya Bassude, témoigne de la bienveillance que la communauté doit aux personnes qui prennent soin des autres et que l’on oublie trop souvent. En fin de compte, toutes les œuvres de l’exposition sont le travail d’amour et non d’un travail.
Nous méritons de dormir, de décrocher, de rêver, de jouer, n’importe quand. Ma chère communauté, lâchez prise et laissez aller les années d’agitation. Cette exposition vous guidera, du manque à l’abondance, des ténèbres à la lumière, du désespoir à la joie. Pansez vos plaies et sentez-vous guérir de l’intérieur. Le repos est radical. Le repos répare. Le repos régénère. Le repos devrait être à la portée de tout le monde. Vous pouvez prendre le temps maintenant, ici, et pour toujours.
Ode à vous,
Yanaminah Thullah, commissaire-hôte communautaire, galerie commerciale
Cette exposition a bénéficié du soutien et du partenariat de l’Ottawa Black Art Kollective (OBAK), ainsi que de l’appui accordé par la Fondation RBC au programme de mentorat d’artistes Rapprochement de la GAO.
Image : Sabrina Niyigaruye, Son of God, 2021
¹ Citation anglaise : « Haven’t we grown tired? » Gyasi, Yaa. Homegoing, New York, YNG Books, Inc. 2016, PAGE 22
² (Phys., II, 8, 199 a 15-17) http://www.jdarriulat.net/Auteurs/Aristote/Poetique/Imitation.html#:~:text=%C2%AB%20L'art%20ach%C3%A8ve%20ce%20que,l'accomplissement%20de%20leur%20nature.