after Africa [après l’Afrique], œuvre séminale du corpus de nichola feldman-kiss, rassemble des symboles clés tirés de la vie de l’artiste. L’installation à trois canaux audio et vidéo traduit un questionnement artistique prolongé des cadres Coloniaux et postule le corps comme site contesté de production culturelle.
Les trois vidéos d’after Africa [après l’Afrique] ont comme objectif de favoriser une meilleure compréhension chez un public né en temps de paix. Ensemble, elles érigent des ponts d’empathie vers les expériences vécues par de nombreuses personnes canadiennes qui éprouvent les difficiles retombées de la culture du conflit. Les symboles y abondent. Chaque choix est délibéré.
Deux des vidéos, celle de gauche et celle de droite, révèlent un luxuriant champ vert dans lequel du bétail bien nourri paît tranquillement sous un soleil de fin d’été. Au milieu du champ, un rail de chariot de cinéma enclave un piano carré du 19e siècle. Une jeune fille issue de la diaspora africaine y est assise comme pour y présenter de façon disciplinée son récital. Elle porte un uniforme scolaire de style Colonial : chemise Oxford, kilt plissé, chaussures de cuir patent. Son uniforme rigide contraste fortement avec sa chevelure frisée libre et abondante balayée par le vent. L’enfant évoque la lignée maternelle de l’artiste qui est inexorablement liée au legs génétique de la conquête Coloniale, au génocide intentionnel du peuple caribe, et à l’esclavage industriel des personnes enlevées à l’Afrique. L’étiquette du piano « Made in Leipzig » (fait à Leipzig) rappelle la ville d’origine de la famille paternelle de l’artiste qui trouva refuge comme sujet britannique dans les Colonies caribéennes de l’Empire pour échapper aux lois sur la pureté raciale adoptées par l’Allemagne au milieu du 20e siècle.
Alors que la caméra effectue un parcours circulaire sur le plateau surréel entouré d’arbres, l’enfant joue des rondes au piano. Sur la vidéo de gauche, elle joue la pièce « So Long, Farewell » [Bonsoir... Farewell] de Rodgers et Hammerstein, tirée de La mélodie du bonheur, pièce musicale sortie en 1959 portant sur la Deuxième Guerre mondiale. Sur la vidéo de droite, elle joue « Oh! How I hate to get up in the morning, » [Oh, comme se lever le matin est déplaisant], une chanson de guerre populaire composée en 1918 par Irving Berlin depuis les tranchées de la Première Guerre mondiale. Les deux chansons servent de point d’entrée pour saisir la perspective naïve maintenue par l’artiste sur la guerre et le déplacement. Alors que le soleil se couche dans la vidéo de gauche et se lève dans celle de droite, la caméra continue de filmer à 360 degrés l’enfant qui elle, poursuit sa pratique de façon de plus en plus disciplinée en vue de jouer la pièce parfaitement. Les champs entourent les rails de chariot. Les rails enclavent le piano. La pianiste joue ses rondes, accompagnée par une chorale de criquets. Le soleil se couche et se lève.
La vidéo du centre présente la performance de l’artiste en fondus enchaînés. Montrées en boucle, les images mettent de l’avant une figure de Casque bleu vêtue d’un masque et d’équipement de protection individuel, qui, armée d’un large balai rouge, balaie continuellement. « La respiration est haletante, le geste, déterminé. Le son d’engins Antonov qui approchent signale un danger. Une violence soudaine éclate hors cadre. La figure continue son geste de balayage. Le dernier cri est interrompu. Silence. La scène retourne au balayage fatigué, mais non moins résolu. La respiration est haletante. Le balai, lourd. La futilité s’infiltre dans les fissures des éléments sonores et visuels. » 1
À travers les notes entendues, le poids de la tâche s’accole à l’intrépide progression de l’enfant. Les cycles de conflits géopolitiques mondiaux réverbèrent au son des nombreux succès et échecs de l’Empire.
La juxtaposition de ces images et de ses sons évoque la complexité de ce que signifie être ici au Canada, à l’abri des guerres et des désirs disputés sur la scène internationale. after Africa [après l’Afrique], empreint de pistes symboliques, nous enjoint à contempler la façon dont le legs de la violence Coloniale implique nos corps en tant que participants contemporains dans la société canadienne. L’œuvre révèle le chevauchement physique des histoires dans nos corps et nous invite à former des liens avec ces personnes qui vivent une indignité humaine : choc, banalité, traumatisme actif, mémoire traumatique des séquelles. nichola feldman-kiss est une Canadienne de première génération issue de la diaspora caribéenne et une citoyenne rapatriée de l’Allemagne et de la Jamaïque. Sa lignée ancestrale inclut des personnes pour qui la migration au-delà des océans et des continents a été une aventure, une contrainte, un enchevêtrement, un enrichissement ou une épreuve. Le militantisme dans l’œuvre de nichola feldman-kiss a comme intention pouvoir saisir notre corps comme lieu d’histoire. Ses pièces tissent passés et présents en portails poétiques pour en révéler les expériences quotidiennes de personnes contemporaines qui subissent les contrecoups de l’ordre mondial Colonial.
Pour préparer et créer after Africa [après l’Afrique], nichola feldman-kiss a travaillé avec les Forces armées canadiennes afin de mettre sur pied la performance d’une figure de Casque bleu au sein du complexe projet qu’était la Mission des Nations Unies au Soudan en 2011. L’artiste voulait une expérience sensorielle directe qui lui permettrait de mieux saisir la façon dont l’histoire se retrouve dans les conflits géopolitiques contemporains. La tournée réalisée au sein d’équipes internationales d’observation militaire de l’ONU a permis à l’artiste de témoigner des expériences troublantes avec la création d’États, du chaos politique extrême et de famines paradoxales en terres riches et fertiles.
after Africa [après l’Afrique] est la première œuvre d’un important corpus créé entre 2010 et 2015 par nichola feldman-kiss en réaction à ses expériences vécues lors d’une Mission avec l’ONU et d’un suivi sur la violence humaine.
1 nichola feldman-kiss, site Web de l'artiste, consulté le 23 décembre 2022, https://www.nicholafeldmankiss.com/warartist/so-long-farewell.html.
Au sujet de l’artiste
nichola feldman-kiss travaille de nombreuses disciplines, tout particulièrement les technologies médiatiques hybrides, relationnelles, et de lentilles. Ses œuvres prennent la forme d’engagement social, d’interventions en instituts et d’installations publiques. Depuis l’obtention de sa maîtrise en beaux-arts de la California Institute of the Arts il y a 25 ans, nichola feldman-kiss a développé une pratique artistique critique rigoureuse et très respectée. Ses innovations en matière d’art et de technologie et d’interventions en milieu institutionnel ont été accueillies entre autres au Conseil de recherche du Canada, à l’Institut de l’œil de l’Hôpital d’Ottawa, au ministère de la Défense nationale et aux Nations Unies. Originaire d’Ottawa (Odawa) où elle a également élevé sa famille, nichola feldman-kiss partage aujourd’hui son temps entre Toronto (Tkaronto) et la côte terre-neuvienne (Ktaqmkuk) où elle poursuit un engagement artistique avec l’océan Atlantique. after Africa [après l’Afrique] fait partie de la collection permanente de la GAO et a été montrée dans le cadre d’une exposition de mi-carrière tenue à la GAO : nichola feldman-kiss witness / témoin.
Merci à
Deborah Dawit (piano)
Ruth Dawit (fille au milieu du champ)
Victor Poirier (caméra)
Roland Simmons (enregistrement sonore)
Christion Schnobb (poignée de chariot)
Andrew Smith (assistance production et chariot)
Edward Folger (montage)
Le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes
La Mission des Nations Unies au Soudan
Le Conseil des arts du Canada
Le Conseil des arts de l’Ontario
La Ville d’Ottawa
Mentions
Commissaire : Catherine Sinclair
Texte : Catherine Sinclair avec nichola feldman-kiss
Conception d’exposition : nichola feldman-kiss avec Leah Ross
Technique : Jennifer Gilliland et Dan Austin
La Galerie d’art d’Ottawa remercie de leur soutien la Ville d’Ottawa, le Conseil des arts de l’Ontario et le Conseil des arts du Canada.
nichola feldman-kiss : witness / témoin
Textes par Michelle Gewurtz, Catherine Sinclair, Robert Enright et Sara Matthews
Cette publication, qui accompagne une exposition, comprend un panorama complet de l’œuvre de nichola feldman-kiss au cours des quinze dernières années.
Année de publication : 2016
Bilingue, en anglais et en français
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